La Gamers Assembly de Poitiers : l’eSport dans toute sa diversité

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Sur PlayFrance, c’est un fait : en dehors de nos forums, on ne parle jamais d’eSport. Pourtant, force est de le reconnaître au regard des chiffres d’audience de Twitch, cette pratique du jeu vidéo intéresse, fascine même, aujourd’hui de nombreux joueurs et une bonne partie de nos lecteurs.  C’est pourquoi, curieux, nous avons décidé de nous pencher sur cette discipline à part entière, dont la richesse et le développement nourrissent un certain nombre de fantasmes. Plongée immersive, à travers le prisme de la Gamers Assembly, festival de l’eSport qui fêtait ses 18 ans d’existence le mois dernier.

Dimanche 1er avril, deuxième journée de compétition acharnée dans les « Arènes », du Parc des expositions de Poitiers. Au menu du jour, notamment, la finale du tournoi 3v3 « Nacon Trophy » sur Street Fighter V. Si le trio Luffy-Genius-YogaPatate, grandissime favori, s’y impose sans trembler, le spectacle vaut le détour avec deux, trois matches particulièrement relevés. Dans les gradins bondés et chauffés à blanc, la popularité des trois vainqueurs ne se dément pas. Comme pour bon nombre d’invités de marque, présents à cette 18e Gamers Assembly.

Des pros et des assos

De Gotaga à Kayane, le salon poitevin a une nouvelle fois attiré de nombreuses personnalités du domaine de l’eSport en France. La preuve, s’il en est, de l’importance de ce rendez-vous, pionnier dans son genre, dans le calendrier désormais très chargé des rencontres nationales autour de la discipline. Surtout, l’eSport intéresse aujourd’hui un large public : pendant trois jours, la « GA » a rassemblé pas moins de 23 000 visiteurs et près de 2 000 joueurs en compétition. Martin « KroK » Berthelot, « caster » spécialisé sur League of Legends et Poitevin avant tout, le mesure mieux qu’aucun autre : « On a quitté les fauteuils très, très confortables du Palais des Congrès, mais c’est ici que la Gamers Assembly a pris une plus grande ampleur. C’est magnifique d’avoir autant de joueurs, amateurs, semi-professionnels et professionnels. Ça donne ses lettres de noblesse à une ville que tout le monde découvre ou redécouvre chaque année pour cet événement. »

Car cette année, la communauté territoriale de Poitiers (« Grand Poitiers ») s’est investie comme jamais pour la cause et le développement de l’eSport. Ainsi, en marge de la « GA », elle est devenue la première collectivité, en France, à soutenir financièrement une équipe esportive, les « orKs Grand Poitiers ». Constituée en association et active depuis 2005 (près de 300 joueurs), la team a donc reçu une subvention communautaire à hauteur de 10 000 €, lui assurant une meilleure visibilité et la mise à disposition de locaux. Mais pas de quoi la faire basculer dans le versant professionnel de la pratique pour autant. « Chez orKs, on est tous bénévoles, staff encadrant comme joueurs, confie Vincent « Vincente » Foulquier, responsable des relations publiques de la formation locale. On n’a pas cette vocation professionnelle parce que c’est un monde différent. Je pense que le tissu associatif est quand même assez important et il faut qu’il y ait des acteurs qui cimentent cette communauté-là. Si un jour, on doit pousser un joueur vers le milieu professionnel, on déléguera plutôt à d’autres équipes qui prendront alors le relais. » Par le passé, les « orKs » ont d’ailleurs vu quelques-uns de leurs membres rejoindre des structures pros – parfois même basées à l'étranger – afin de vivre de leur passion.

L'eSport regroupe ainsi une large communauté de joueurs, diverse et même « extrêmement éparpillée » comme l’observe Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport et président de l'association France eSport. « Il y a de plus en plus de joueurs professionnels, qui vont être rémunérés pour participer à des événements et pour leurs performances, mais ce n’est qu’une toute petite frange de ce qui représente l’eSport. Derrière, on retrouve une masse de joueurs amateurs, qui ne sont pas rémunérés pour ça, qui peuvent parfois gagner des lots, un petit peu d’argent, mais qui ne peuvent pas en vivre. Enfin, il y a une part un peu particulière de ces joueurs qui vont s’orienter vers une pratique de spectacle, de divertissement, et se mettre en scène en train de jouer : ce sont les streamers. Ceux-là vont plutôt être rémunérés pour leur show. »

Une pratique structurée et reconnue

Loin des LAN de garage, comme aux origines de la Gamers Assembly, la pratique a beaucoup évolué. Elle ne s'est professionnalisée que très récemment, avec l’arrivée de nombreux sponsors privés qui ont flairé le bon filon et contribué à faire de l’eSport, le spectacle populaire que l’on connaît aujourd’hui. Avec sa propre grammaire, ses grosses équipes et ses joueurs vedettes. « La discipline est sous le feu des projecteurs seulement depuis les dernières années, avec l’apparition des webTV ou des plate-formes de diffusion telles que Twitch. Mais la pratique est bien antérieure, émergeant de la pratique amateur, de ce tissu associatif, à la fin des années 90, illustre Nicolas Besombes. Aujourd'hui, il y a un vrai phénomène de professionnalisation. Grâce à l’application de la loi « République numérique » et aux deux décrets de loi sur l’encadrement des compétitions et sur le statut de esportif pro, qui ont permis un cadre de régulation et de législation des contrats de joueurs professionnels depuis 2016, l'eSport est plutôt bien structuré en France. Mais au niveau de l’écosystème amateur, tout reste à faire. » Des rencontres « business » ont même lieu, désormais, entre les professionnels de la discipline, comme à l’hôtel de ville de Poitiers – pas loin de 150 participants – la veille de la « GA ».

En se structurant ainsi au cours des dernières années, l’eSport a aussi trouvé une certaine forme de reconnaissance. Des instituions, mais aussi du monde du sport. Les derniers Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang se sont notamment ouverts sur les IEM, une épreuve de StarCraft II, à l’initiative du Comité international olympique (CIO). En France, le triple champion olympique Tony Estanguet s’est dit ouvert à l’arrivée éventuelle de l’esport dans le cadre des JO de Paris 2024. Mais la question n’est pas si simple, rappelle Nicolas Besombes. « Les compétences sont assez proches que ce que l’on va retrouver dans certaines disciplines sportives, mais avec une dépense énergétique évidemment plus faible. Comme pour le sport, on va avoir forcément besoin de toutes nos compétences cognitives pour pouvoir performer au plus haut niveau dans l’eSport. Cependant, l’une des grandes différences est que l’eSport se pratique sur des biens privés et dont la propriété intellectuelle appartient à des éditeurs. Or ça, le code du sport ne le prévoit pas. C’est pour ça que l’eSport ne peut prétendre à rentrer dans ce cadre. »

 Si la mainmise des éditeurs sur leurs jeux est une « singularité qu’il ne faut pas nier, qu’il ne faut pas essayer de gommer », elle peut être un frein aujourd’hui au développement d’événements locaux autour de l’eSport. Cette année encore, la Gamers Assembly a pu en faire les frais, en se retrouvant privée de certaines compétitions. « Aujourd’hui, les éditeurs veulent travailler avec leur communauté mais ils veulent aussi vendre des tournois avec du sponsoring important, constate « KroK ». Or la « GA », c’est d’abord une association (Futurolan, ndlr) qui a l’ambition de faire du spectacle, d’amuser les gens sur un week-end. »

Un levier pour l’accessibilité

Le gaming, sport comme un autre ? Chez les joueurs, les avis sont partagés, certains se montrant finalement très éloignés de ces considérations. L’essentiel est ailleurs pour les concurrents alignés sur le trophée « Silver Geek ». Opposant des maisons de retraite de la région Nouvelle-Aquitaine, ce tournoi exclusivement réservé aux séniors est depuis plusieurs éditions la marque de fabrique de la Gamers Assembly. Diffusée en direct sur Twitch, la compétition a une nouvelle fois remporté un franc succès auprès des spectateurs de tout âge et a vu l’avènement de Geneviève et Marie, la nouvelle paire victorieuse sur Wii Bowling. L’occasion de rappeler que le jeu n’est pas seulement réservé aux plus jeunes et qu’il peut rassembler toutes les générations de joueurs.

Dans ce souci d’ouverture à tous les publics, le festival poitevin proposait cette année une zone entièrement dédiée au jeu vidéo accessible – 300 m2 – pour les personnes atteintes de handicap. La question est légitime : comment jouer quand on ne peut pas voir l’écran ou tenir une manette entre les mains ? « Cela fait un moment que l’on pense à créer une zone pour parler, échanger et réfléchir sur cette question », confie Pierre Mac Mahon, chef de projets événementiels en charge de l’espace Familles sur le salon. A ce titre, la Gamers Assembly a permis de (re)découvrir A Blind Legend, un jeu adapté aux déficients visuels où l’on progresse seulement à l’aide d’indications sonores, ou encore Dragonium, un MMORPG sur navigateur développé dans la Vienne qui propose des cartes de jeu en braille. 

L’association CapGame était également présente pour sensibiliser plus globalement à cette problématique de l’accessibilité, à laquelle l’industrie peine encore à apporter une réponse concertée. « Notre présence à la GA est d’autant plus pertinente que l’eSport est un terrain de jeu évident, une tribune suivie par des millions de personnes, pour amener ce sujet sur la table, estime Jérôme Dupire, cofondateur de CapGame et chercheur au Cnam. C’est un milieu favorable à l’innovation technologique. A partir du moment où on aura intégré que les joueurs « handi » existent, qu’ils ont envie de jouer et de s’intégrer à la compétition, on pourra alors mobiliser les constructeurs au développement de manettes adaptées, comme le fait déjà l’association HandiGamer, et systématiser cette démarche pour avoir des matériels adaptés et performants pour l’eSport. C’est une scène formidable comme le sont les Jeux paralympiques pour les Jeux olympiques, à ceci près que l’on aimerait avoir quelque chose de plus inclusif encore, avec des équipes mixtes où les joueurs handicapés puissent jouer, se tirer la bourre ensemble sur les mêmes domaines, les mêmes jeux, avec des terrains de jeu partagés. C’est très important d’éviter absolument de marginaliser le joueur handicapé en lui dédiant des jeux spécifiques. L’objectif, c’est de ramener tout le monde dans une dynamique commune, partagée et construite autour du jeu vidéo. »

Une fois n’est pas coutume, cette 18e édition de la Gamers Assembly a illustré comme rarement toute la richesse de l’eSport, mais aussi la diversité des profils qui le composent. Arrivé à l’âge de la majorité civile, l’événement n’en a pas oublié ses racines : un rendez-vous créé par les joueurs, pour les joueurs.

Les commentaires
Le
Merci Steve pour cet article. C'est vrai qu'on parle peu d'E-Sport sur PlayFrance. Personnellement ce n'est pas ma tasse de thé, ce que je recherche dans le jeu vidéo c'est plus une expérience, une narration interactive, un moment d'évasion ou d'émotion (la peur sur un survival-horror par exemple) qu'une compétition contre autrui. On lutte déjà assez au quotidien dans la vraie vie dans tout un tas de domaine pour en remettre une couche dans un monde virtuelle. :D

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